L’art de concilier besoins et contraintes pour réussir des projets IT complexes - Le rôle de l’AMO
Interview de Hélène Millet – Partner IMPACT CONSULTANTS et experte sur les sujets de DATA et AMO.
Flavie Picart : Aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises doivent concilier besoins métiers et contraintes de réalisation IT pour réussir leurs projets de transformation, notamment dans l’industrie aérienne. Peux-tu nous expliquer en quoi l‘Assistance à Maîtrise d’Ouvrage (AMO) intervient dans ce type de projet ?
Hélène Millet : L’AMO joue un rôle clé lorsqu’il s’agit de projets impliquant des systèmes IT complexes, comme la mise en place d’un nouveau système d’inventaire ou la migration d’une plateforme de données. C’est en quelque sorte un médiateur qui permet de faire le lien entre la maîtrise d’ouvrage (MOA), c’est à dire le client, qui exprime les besoins métiers, et la maîtrise d’œuvre (MOE), qui va assurer la réalisation, soit les développements et/ou l’intégration.
Un peu comme un critique culinaire, la MOA a une vision précise de ce qu’elle veut, tandis que la MOE, le « cuisinier », doit transformer cette vision en un produit concret. L’AMO, lui, fait en sorte que la communication entre ces deux parties soit fluide et que les contraintes techniques soient bien prises en compte tout en respectant les objectifs stratégiques.
Flavie Picart : Pourrais- tu nous donner un exemple plus technique qui illustre ce rôle ?
Hélène Millet : Prenons l’exemple d’une compagnie aérienne qui souhaite déployer un nouveau système de réservation. L’enjeu se chiffre en millions de transactions, et en millions d’euros. Les dirigeants veulent un outil intuitif qui offre une expérience utilisateur optimale, tandis que les équipes techniques, elles, se concentrent sur la sécurité des données, l’architecture des serveurs, ou la rapidité d’exécution des algorithmes. Ces deux visions très différentes peuvent entrer en conflit : il faut donc les aligner en permanence.
C’est là que l’AMO intervient. Nous traduisons les besoins stratégiques de la direction en termes compréhensibles pour les équipes techniques et, inversement, nous vulgarisons les contraintes techniques pour la direction afin qu’elle puisse prendre des décisions éclairées. Le rôle de l’AMO ne se limite pas à de la traduction technique ; il peut aussi impliquer aussi la rédaction de spécifications fonctionnelles , le suivi et la défense des budgets, la coordination transverse des équipes, et la supervision des tests.
Flavie Picart : Tu as une grande expérience dans la gestion de projets technologiques dans l’industrie aérienne. Peux-tu nous parler de quelques-uns des projets sur lesquels tu as travaillé ?
Hélène Millet :J’ai eu l’opportunité de travailler sur des projets de migration de systèmes de réservation/inventaire pour des compagnies comme Luxair et Air Tahiti. Comme on l’a vu, ces projets sont complexes : ils nécessitent la coordination de plusieurs équipes internes à la compagnie, sur les différentes directions impliquées, et externes (prestataires choisis, consultants pour renfort), sur plusieurs mois: définition du besoin, appel d’offres, choix du prestataire et ensuite projet proprement dit et gestion des risques associés à la transition.
L’AMO intervient à toutes les étapes, et notamment sur le projet lui-même pour superviser la migration : définition des besoins, et au fur et à mesure des développements, vérification de la conformité de ce qui est produit aux attentes notamment via des phases de test. Respect des délais et budgets sont plutôt l’affaire du chef de projet désigné, mais en fonction de la taille du projet, l’AMO peut couvrir ces aspects là aussi. Dans le cadre d’une migration de systèmes réservation/inventaire (dans le jargon, on dit “PSS”), tout ce travail atteint son paroxysme lors de la nuit de “cutover”, où on va littéralement débrancher l’ancien système pour brancher le nouveau, c’est presque une transplantation cardiaque! et une vraie expérience (rires). Les intervenants (MOA, AMO et MOE) mesurent alors le chemin parcouru.
Une fois le projet technique réalisé et validé, entre en jeu une autre tâche de l’AMO : la gestion du changement. Mettre en place une nouvelle solution, ce n’est pas juste déployer un outil, c’est aussi aider les équipes à l’utiliser de façon optimale . L’AMO est partie prenante sur la communication du projet, sur la formation, voire sur la réorganisation des équipes.
Flavie Picart : Tu as mentionné la rédaction de spécifications fonctionnelles. En quoi est-ce une étape cruciale ?
Hélène Millet : C’est en effet fondamental. Ces spécifications sont presque comme un contrat : elles permettent de définir précisément ce que l’on attend du projet. Le rôle de l’AMO est de s’assurer que tous les besoins métiers sont bien pris en compte et que les spécifications techniques qui vont découler des fonctionnelles correspondent à ces attentes.
Flavie Picart : Tu parles également de la coordination entre les différents acteurs. Comment l’AMO s’assure-t-il que toutes les parties prenantes restent alignées tout au long du projet ?
Hélène Millet : L’AMO joue un rôle d’interface. Il fluidifie les échanges entre les équipes métiers et les équipes techniques, en veillant à ce que tout le monde comprenne bien les enjeux et travaille dans la même direction. Cela commence très tôt comme on l’a vu, par la gestion des appels d’offres, le choix des outils, et la mise en place des solutions. Une fois que le projet est lancé, il supervise les tests pour vérifier que la solution fonctionne comme prévu et qu’elle répond bien aux besoins identifiés.
Flavie Picart : Quelle est la différence entre l’AMO et un rôle plus traditionnel de gestion de projet, selon toi ?
Hélène Millet : L’AMO se distingue par sa capacité à harmoniser à la fois les besoins métiers et les aspects techniques. Là où un gestionnaire de projet peut se concentrer sur les délais, les coûts et la livraison, l’AMO va plus loin en jouant un rôle de médiateur entre les différentes parties prenantes.
Comme par exemple, chez Afidium, une entreprise avec laquelle j’ai collaboré récemment. Ils voulaient développer un nouveau produit sans avoir une vision claire des besoins réels des clients. J’ai travaillé avec les équipes techniques pour clarifier leurs propositions, puis traduit ces informations en un langage compréhensible pour les clients afin de valider la direction du projet et assurer que le nouveau produit réponde à un réel besoin (et du coup ait un marché).
Flavie Picart : Comment vois-tu l’évolution du rôle de l’AMO dans un monde de plus en plus digitalisé ?
Hélène Millet : L’AMO devient de plus en plus indispensable, surtout dans des secteurs comme l’aérien où la technologie évolue rapidement: chaque erreur peut avoir des conséquences coûteuses, et c’est un domaine aux marges réduites. L’AMO assure que la transition technologique se passe sans accroc.
Une interview de Hélène Millet avec Flavie Picart.